COP30 – Belém : Le Sénégal planifie des trajectoires de développement sobre en carbone et résilience climatique fondée sur la co-construction, la prospective systémique et la modélisation
Lors de la COP30 à Belém, le Sénégal a officiellement présenté, le 15 novembre 2025 au Pavillon du Sénégal, le rapport provisoire de sa Stratégie à Long Terme (LTS) marquant une étape décisive dans la planification systémique d’un développement sobre en carbone et résiliente au changement climatique en phase avec la Vision 2050 .
Ce travail est le résultat d’un processus de co-construction piloté par le Ministère de l’Environnement et de la Transition Écologique (METE) et le Ministère de l’Énergie, du Pétrole et des Mines (MEPM), avec la coordination technique d’ENDA ÉNERGIE en collaboration avec IDDRI, et le soutien financier de l’AFD et de l’ACF. La LTS repose sur une combinaison structurée, d’une part, de dialogue politique pour assurer l’alignement avec la Vision 2050 et politiques sectorielles et d’autre part, de scénarisation des transitions énergétique, agricole, industrielle et infrastructurelle (mobilité, gestion des déchets, aménagement) et de modélisation prospective prenant en compte les objectifs stratégique de court et moyen terme.
La session modérée par ENDA ENERGIE a permis de mettre en exergue l’approche de co-construction de la LTS du Sénégal ayant permis de développer les capacités nationales sur la prospective transitionnelle à travers le dispositionnel institutionnel mis en place.
En résumé, le rapport provisoire de la LTS comprend :
- L’analyse du contexte global et national et la méthodologie de co-construction
- La Vision à long terme (LTV) en phase avec la Vision 2050 ;
- L’analyse du risque climatique et trajectoires d’adaptation et de résilience ;
- Les trajectoires de transition de développement sobre en carbone;
- L’analyse des impacts économiques des trajectoires de transition;
- Les mesures transversales et stratégie de mise en œuvre (transfert de technologies, arrangement institutionnel, mobilisation de ressources pour garantir une transition juste, durable et équitable du Sénégal à l’horizon 2050)
A la suite de la présentation des principaux résultats, les ministères de tutelle, les experts sectoriels, les partenaires techniques et financiers et invités ont globalement salué la qualité de la coordination orchestrée par ENDA ENERGIE et ont beaucoup apprécié l’approche inclusive et surtout la contribution multiforme de ce processus dans la planification multisectorielle et l’actualisation et l’élaboration de politiques y compris la CDN 3.0 en cours, le développement de programmes sectoriels, etc.
En résumé, le rapport provisoire s’appuie sur une base scientifique solide, fondée sur l’analyse des scénarios climatiques du GIEC, avec un accent particulier sur le scénario SSP5-8.5, considéré comme le plus proche des tendances actuelles. Les projections montrent une augmentation des précipitations extrêmes comprise entre 25 % et 45 % d’ici 2100, avec un risque élevé d’inondations dans les régions de Dakar, Thiès, Saint-Louis et Louga. Les tempêtes de vent pourraient augmenter jusqu’à +24 jours par an en fin de siècle, notamment dans les régions de Kaolack, Kaffrine, Tambacounda et Kolda. Les sécheresses deviendraient plus fréquentes dans le nord et le centre, avec des occurrences dépassant 18 % des saisons pluvieuses, tandis que les vagues de chaleur pourraient atteindre 20 à 35 jours de canicule par an à l’horizon 2080, avec des intensités supérieures à +8 °C². Enfin, l’élévation du niveau de la mer, estimée entre 0,72 et 0,74 m d’ici 2100, menace directement les zones côtières du Cap-Vert, de la Grande et de la Petite Côte, du delta du Saloum et de la Casamance
Sur le plan énergétique, la LTS propose une analyse comparative de plusieurs scénarios à l’aide de l’outil de modélisation LEAP, permettant pour la première fois de quantifier les impacts des choix politiques. Dans le scénario tendanciel (BAU), la part des énergies renouvelables atteindrait seulement 28 % du mix électrique en 2050. En revanche, le scénario dit « Sobriété » permettrait d’atteindre 65 % d’énergies renouvelables, tandis que le scénario « Focus Renouvelables » se stabiliserait autour de 50 %. Le scénario aligné avec les politiques actuelles (« Focus Gaz ») maintiendrait une trajectoire voisine de 40 %. Le scénario Sobriété ressort comme le plus performant, avec une réduction des émissions de gaz à effet de serre des ménages pouvant atteindre 80 %, grâce notamment à la modernisation des usages domestiques et à la diffusion de solutions de cuisson propre, avec des co-bénéfices clairs en matière de santé publique et de préservation des ressources forestières
Le rapport apporte également des données précises sur les infrastructures, les déchets et la mobilité, à travers quatre scénarios territoriaux (BAU, TTRANS, TMIT et TRESC). Dans le sous-secteur des déchets solides, les émissions pourraient dépasser 2 millions de tonnes de CO₂ par an en 2050 dans le scénario BAU, tandis que les scénarios de transition permettent des réductions significatives grâce au recyclage, à la valorisation des déchets organiques et au captage du biogaz. Concernant les déchets liquides, les émissions projetées atteignent 1 723 Gg eqCO₂ en 2050 en l’absence de réforme, mais des politiques ambitieuses peuvent réduire ce volume de 610 Gg eqCO₂, malgré une croissance démographique estimée à +122 %. Les scénarios de mobilité montrent par ailleurs une baisse nette de la demande énergétique du transport grâce au développement du ferroviaire, à l’amélioration de l’efficacité des moteurs et à la réduction des distances parcourues, générant une diminution directe des émissions globales
Sur le plan industriel, la LTS modélise trois trajectoires de transformation en plus du scénario de référence : la structuration des filières agro-industrielles prioritaires, la mise en place de huit pôles industriels de type écoparcs et la décarbonation des industries à forte intensité énergétique. Les résultats sont techniquement très significatifs : une réduction de la demande énergétique pouvant atteindre 49 % en 2050, une baisse des émissions industrielles jusqu’à 70 %, et une élimination progressive du charbon dans le mix énergétique industriel (de 35,9 % en 2025 à 0 % en 2050 dans certains scénarios). Dans le secteur de la cimenterie, les simulations montrent une réduction des émissions de 70 %, rendue possible par une baisse du taux de clinker de plus de 34 % en 2050 et par l’adoption de technologies sobres en carbone
Les systèmes alimentaires font l’objet d’une modélisation approfondie à travers quatre scénarios. Le scénario intégré et durable (S3) apparaît comme le plus robuste, combinant productivité, résilience climatique et inclusion sociale. Il permet une meilleure stabilité des rendements agricoles, une progression durable de l’aquaculture pouvant atteindre 16 000 tonnes de production à l’horizon 2100, ainsi qu’une réduction nette de la déforestation grâce au développement de l’agroforesterie et de la régénération naturelle assistée. À l’inverse, les scénarios productivistes non maîtrisés accentuent les pressions sur les ressources naturelles et les inégalités territoriales
Sur le plan macroéconomique, les simulations démontrent que le scénario LTS 3 (Sobriété) génère les meilleurs résultats : une valeur ajoutée agricole supérieure de 32 % par rapport au scénario tendanciel, une valeur ajoutée industrielle accrue de 139 %, et une augmentation des recettes publiques de 137 %. Cette trajectoire permet également une réduction significative de la pauvreté et une amélioration mesurable du bien-être économique. En matière d’emploi, la demande de travail progresse de +2,67 % dans l’industrie et de +1,31 % dans l’agriculture, traduisant un effet réel sur la création d’emplois verts et inclusifs
Enfin, le rapport démontre que la LTS constitue un outil opérationnel de politique publique, intégrant un cadre institutionnel renforcé, un dispositif de suivi MRV conforme aux exigences de l’Accord de Paris, une stratégie de financement fondée sur les fonds climatiques, les partenariats public-privé et la fiscalité verte, ainsi qu’une intégration transversale des enjeux de genre, de transfert de technologies et de gouvernance des ressources stratégiques. À travers cette présentation à la COP30, le Sénégal a posé les bases d’une planification climatique fondée non plus sur l’intention, mais sur des trajectoires chiffrées, comparées et pilotables, capables d’orienter les investissements, les réformes sectorielles et les choix de développement à long terme