EMMANUEL SECK, DIRECTEUR DE ENDA ENERGIE «Comme éléments de réponses au changement climatique, les connaissances endogènes méritent davantage d’être mises en avant»
M. Seck, Enda Energy et ses partenaires viennent de boucler la troisième Semaine Climat et Energie, qui s’est tenue du 1er au 6 juillet. Qu’est-ce qu’on peut retenir des travaux ?
Il faut rappeler que nous avons mis en place cette Semaine Climat et Energie comme étant un cadre de prospection et d’exploration de sujets relatifs au changement climatique tels que les pertes et dommages, l’inter-relation et le nexus climat-santé, les aspects relatifs à la protection sociale, c’est-à-dire l’impact des catastrophes ou les risques de catastrophes sur les populations, la dimension relative à la décentralisation. Nous avons comme objectif de discuter sur ces sujets, mais aussi de faire de cette semaine une plateforme qui puisse nous permettre de discuter de solutions que nous menons au niveau local. Quand nous parlons de solutions au niveau local, c’est que, déjà, au niveau national, le Sénégal a eu à développer des engagements à travers la contribution déterminée au niveau national, que ce soit sur les questions d’atténuation ou sur les questions d’adaptation. Et maintenant, on s’est dit pourquoi les solutions locales ou les actions locales d’agroforesterie, d’agroécologie, de lutte contre la salinisation des terres et la désertification, de préservation de la mangrove, de promotion de foyers améliorés pour une production propre ne devraient pas être des solutions considérées dans la mise en oeuvre de la contribution déterminée au niveau national. Mieux, partant de ce qui a été fait au niveau local, comment on pourrait avoir un mécanisme qui puisse agréger les solutions proposées par les acteurs non étatiques d’autant plus que le bilan mondial a été présenté et qu’il montre quelque part qu’il y a eu un faible engagement des parties pour rehausser cet engagement-là. Je pense qu’il est tout à fait judicieux de mettre en place un mécanisme qui puisse permettre de comptabiliser les efforts et les actions réalisées par des acteurs non étatiques pour éviter ce biais en matière d’information et de reporting.
Quand vous parlez de solutions locales, faites-vous référence aux expériences éprouvées et qui ont montré leur efficacité sur le terrain ?
Oui, tout à fait ! Il s’agit des actions réalisées au niveau local, que ce soit par les populations, pour les populations ou avec les populations. C’est-à-dire, il y a des activités que l’État, des partenaires techniques de développement ou d’autres parties prenantes financent pour que les populations puissent faire face aux défis liés à leur développement, que ce soit sur le plan socio-économique ou sur les défis liés au changement climatique. On a parlé d’érosion côtière, l’élévation, par exemple, de la température avec ses incidences au niveau pluviométrique sur les activités agricoles, les activités liées à l’élevage et même la pêche continentale et la pêche globalement, étant entendu que l’écosystème marin est compris dans cette perturbation liée aux questions de changement climatique. Les questions relatives à la lutte contre la désertification, la conservation de la biodiversité. Donc les actions sont souvent menées avec les populations puisqu’elles ont souvent aussi des solutions, des connaissances endogènes qui méritent davantage d’être mises en avant comme éléments de réponses. Je vous donne juste quelques exemples. Les bois sacrés, reliques de forêts qui restent en Casamance, sont bien protégés. Ces cas sont des exemples à considérer. Vous allez par exemple dans des zones où la mangrove est très importante, vous verrez que pour certaines populations, elle a une fonction fondamentale au-delà du service éco-systémique, parce que ce sont des zones de nurseries pour les poissons et de frayères aussi. Cela leur permet aussi de développer des activités horticoles ou de cueillettes d’arches, etc. C’est dire qu’au niveau local, sur divers secteurs, notamment l’agriculture, les populations donnent l’exemple. Prenons le cas de l’agriculture sérère qui a toujours été considérée comme un exemple avec la façon dont elle est rotative. Avec un système rotatif, une partie du champ est toujours mise en jachère, ou sert d’enclos ou d’embouches et l’autre partie est cultivée ; ce qui fait qu’avec la rotation, il y a une production importante et cela contribue à mieux gérer les ressources. C’est dire qu’au niveau local, il existe diverses solutions proposées par les populations et qui, à notre avis, méritent d’être mises en lumière, valorisées, documentées. Ce qui fait par ailleurs qu’on essaie de faire en sorte que la recherche puisse répondre aux attentes des populations, que les universitaires travaillent davantage, s’intéressent à ces solutions afin qu’on puisse faire de la recherche-action. En effet, il y a beaucoup de recherches qui ont été faites, mais il reste à savoir si ces dernières ont reçu une bonne appropriation au niveau local, si elles ont été suffisamment assimilées par les populations et si elles ont été faites en tenant compte de la demande locale. C’est dire qu’il y a vraiment un lien réel à faire pour que nos recherches répondent davantage aux attentes des populations et qu’on fasse de sorte qu’elles soient bien assimilées, parce que faites avec les populations.
Comment ces solutions locales peuvent-elles être mises à contribution pour faire face à une problématique aussi globale que le changement climatique ? la recherche dont vous parlez est-elle une des réponses ?
La question du changement climatique est une problématique globale, mais elle a des réponses au niveau local. Donc il s’agit de faire en sorte que la question soit ramenée à sa plus petite dimension. C’est une problématique. Je vous ai parlé de comment elle se manifeste à travers l’érosion côtière. Pour l’érosion côtière, les populations dans certaines zones font ce qu’on appelle la poldérisation afin de gagner des terres sur la mer. Il y en a qui font des digues pour se protéger. Ce sont des connaissances qu’elles développent elles-mêmes. On a parlé aussi de la préservation de la mangrove et j’ai cité le cas du bois sacré. Actuellement, on parle du marché carbone pour valoriser les efforts que les pays forestiers sont en train de faire en matière de préservation de forêts. Alors, pourquoi dans la zone de Casamance, ceux qui s’inscrivent dans cette dynamique-là, ne pourraient-ils pas bénéficier du marché carbone si tant est que les exemples du bois sacré permettent de préserver des milliers d’hectares ? J’ai parlé du système agricole sérère, c’est une forme d’adaptation de comment mieux valoriser les ressources pour mieux tirer davantage profit des terres sans forcément les dégrader. En fait, ce qui nous a poussés, pour l’essentiel, à arriver à cette dégradation, il y a effectivement le facteur climatique ou environnemental, si je peux globalement parler ainsi, mais il y a également des stratégies et des méthodes culturales qui n’ont pas du tout été appropriées. Par exemple, les cultures de rente, de l’arachide par exemple, où on a été obligé d’exploiter des milliers d’hectares qui, après la récolte, mettent les champs à nue et avec l’érosion éolienne et hydrique, ces zones sont devenues de plus en plus infertiles à la culture.
Cette semaine climat était articulé autour de la sobriété carbone, équitable, inclusive. De quoi s’agit-il de manière vraiment terre à terre pour le lecteur quand on parle de politiques sensibles à la politique sensible ?
Quand on regarde globalement, qu’on prend la question du climat, on se dit que le facteur humain, anthropique, est déterminant. Le facteur humain est déterminant parce que durant des siècles, nous utilisions des combustibles fossiles, que ce soit le charbon, le gaz, le pétrole. Des produits très importants dans le marché mondial et l’économie. On s’est rendu compte qu’à force d’utiliser ces combustibles fossiles, cela a eu un impact au niveau de l’atmosphère. On s’est dit puisque c’est avéré et prouvé scientifiquement que ce sont ces combustibles fossiles qui nous ont conduits dans cette situation de changement climatique, on devrait réduire l’utilisation de ces énergies fossiles. C’est l’une des raisons pour lesquelles on a parlé de sobriété carbone, c’est-à-dire qu’on n’émette plus le carbone comme on le faisait auparavant et qu’on essaie de trouver des alternatives qui ne sont pas polluantes comme par exemple les énergies renouvelables, le solaire, l’éolienne, hydraulique, etc. Ce sont souvent ces aspects qu’on essaie de promouvoir, mais il ne faut pas oublier qu’en parlant de cette question des combustibles fossiles, il a été signifié qu’elle n'est pas une ressource pérenne. Elles ont une durée limitée. Et la question qu’on se pose, c’est quelle devraient-être les alternatives ?
Les acteurs non étatiques ont fait du financement de l’action climatique leur cheval de bataille, mais aujourd’hui, est-ce que vous n’avez pas le sentiment de prêcher dans le désert vu que les gens ne réagissent pas à chaque fois que vous en parlez ?
Oui, mais c’est quand même de droit qu’on demande des financements parce qu’il est stipulé dans la convention-cadre des Nations unies sur les changements climatiques que les pays développés doivent appuyer les pays en voie de développement à faire face aux changements climatiques essentiellement en leur fournissant les ressources nécessaires à cet effet. Et là, il y a eu donc cet engagement qui est inscrit au niveau de la convention, des engagements des leaders qui ont été pris lors de la conférence de Copenhague en 2009, pour dire qu’ils allaient financer les pays en développement à hauteur de 100 milliards de dollars d’ici à 2020. C’est un engagement et ils n’ont pas été forcés à le prendre, mais ils ont jugé nécessaire que la question du climat se pose avec acuité, tel que certains pays sont en train de vivre la sécheresse. Rien que dans la Corne de l’Afrique, il y a eu trois années successives de sécheresse qui ont fait plus de 40 millions de victimes avec des personnes décédées et d’autres qui ont été touchées par la famine. Après ces trois années-là, on voit que ces pays se retrouvent avec des problèmes d’inondations qui sont tous liés au phénomène du changement climatique.
Ce sont des situations extrêmes…
Oui, des situations extrêmes de changement climatiques. Au niveau du Sahel, on a connu des vagues de chaleur avec des cas de décès qui, selon certains hôpitaux, sont liés à l’élévation de la température. Dans certains pays, le niveau de la température est allé jusqu’à 47°.
Comme au Mali et au Burkina cette année…
Oui, vous voyez ! Donc si on a tous ces aspects-là et qu’on se dit que la responsabilité historique revient aux pays développés, il est tout à fait juste (en parlant de justice climatique) de demander à ces pays-là de faire un effort pour, au moins, accompagner les pays qui souffrent le plus de ces questions de changements climatiques parce qu’économiquement ou bien techniquement ils n’ont pas suffisamment d’éléments de réponses pour pouvoir faire face.
Est-ce qu’on peut dire que c’est ce non-respect de cet engagement qui explique qu’on s’éloigne un peu de l’objectif de 1,5% de réduction du réchauffement climatique planétaire ?
Oui, entre autres raisons. Il y a cet aspect de non-respect d’engagements liés au financement, mais aussi les autres engagements. Et c’est soit la réduction des émissions à travers des politiques hardies que ces pays développés doivent prendre pour réduire leur utilisation de combustibles fossiles mais aussi d’évitement, c’est-à-dire d’avoir des politiques d’efficacité énergétiques, soit, au niveau du transport, autrement dit, avoir un transport public qui soit peu émetteur, sobre en carbone, des bâtiments économes en énergie, ect. Il faut qu’il y ait des mesures hardies pour qu’au moins, on puisse réduire ces émissions-là, et en réduisant ces émissions de gaz à effet de serre, on pourra répondre à l’objectif de Paris. Mais tel qu’il en est, les pays sont loin de cet objectif. C’est pourquoi les acteurs de la société civile sont obligés de porter le plaidoyer. Pourquoi ils doivent porter le plaidoyer ? Parce que ce sont eux qui donnent écho aux voix des communautés.
Source : # Le Soleil Entretien réalisé par Elhadji Ibrahima THIAM